Michel MAGNE

Un homme hors du commun, un compositeur visionnaire

 

(Photo © 1976 Barclay, reproduite sans autorisation)

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Disparu voici plus de trente ans, le compositeur français de musiques de films Michel Magne était ce qu'il est convenu d'appeler une personnalité marquante. Après avoir réalisé des expériences de musique concrète puis électronique au début des années 50, puis publié nombre de disques instrumentaux qu'on n'ose qualifier de "musique d'ambiance" tant ils sont originaux, étonnants, détonants et hyper-recherchés aujourd'hui (citons par exemple Tropical Fantasy), il a écrit plus de 110 bandes originales de films. Sa période la plus féconde est sans conteste la décennie 1963-1973, où son génie explose dans une étonnante série de succès du grand écran : tous les "Angélique", les "OSS 117" et les "Fantômas", "Mélodie en sous-sol", "Les barbouzes", "Les tontons flingueurs", "Le repos du guerrier", "Belle de jour", "Le vice et la vertu", "Compartiment tueurs", "Galia", "Moi y en a vouloir des sous", "Les Chinois à Paris", "Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil"... Tous les styles y passent, du symphonique au jazz, du rock à la pop, avec une patte et une intelligence inimitables.

Michel aménage un studio d'enregistrement personnel aux normes professionnelles dans sa propriété d'Hérouville (Val d'Oise), puis fonde le 21 Novembre 1969 la Société d'Enregistrement Michel Magne, pour exploiter commercialement ce studio 8 pistes (le standard de l'époque), baptisé à l'origine Strawberry Studio, installé au deuxième étage de l'aile droite du château, directement sous les toits. Ce faisant, il invente tout bonnement le concept de studio résidentiel : un endroit loin de la ville, où les musiciens vivent, mangent, dorment, et enregistrent, coupés du monde pendant des semaines, loin des pressions. Parc de plusieurs hectares, tennis, piscine privée, stand de tir, table dressée par un grand chef et cave bien remplie (Magne adore les grands crus, Cheval Blanc et Mouton Margau en tête) sont au programme. Être invité à manger le week-end au Château est un must pour tout le show-biz parisien, dont les Directeurs Artistiques des labels les plus en vue, Jean Fernandez [Barclay] par exemple. Une révolution à l'époque des studios urbains tristounets, dont les propriétaires ne sont, la plupart du temps, autres que les grandes maisons de disques elles-mêmes !

De 1971 à 1973, le succès est énorme : Canned Heat, Bill Wyman avec Tucky Buzzard et John Walker, Elton John (trois albums de suite, dont un double, en deux ans !), Cat Stevens, Gong, Dashiell Hedayat, Gilli Smyth, Pink Floyd, Magma, Eddy Mitchell, Nino Ferrer, Pierre Vassiliu, Terry Riley, T. Rex, Alain Markusfeld, Claude Nougaro, Danyel Gérard, Adamo, Gilbert Montagné, Joël Daydé, Zoo, Catherine Ribeiro, Jean-Christian Michel, Alice, Ergo Sum, Total Issue, Zabu, Uniweria Zekt, Catharsis, Jethro Tull, David Bowie, les Hudson Brothers, Tuca, Bernard Lubat, Eddy Louiss... se disputent l'honneur d'enregistrer au Château d'Hérouville, qui compte vite un second studio 16 pistes, une salle de répétitions... Des concerts mémorables ont lieu dans le parc du Château, notamment avec le Grateful Dead (juin 71), les groupes du label Thélème, ou lors des fiançailles puis du mariage de Michel Magne, en 1972...

De gros problèmes de gestion (le studio coûte plus qu'il ne rapporte !) et une reprise ratée du Château par le patron d'un studio parisien indépendant déclenchent malheureusement en 1973 la machine judiciaire, ce qui débouchera sur une courte période d'abandon, suivie par la reprise de l'activité d'enregistrement par le directeur artistique/musicien Laurent Thibault le 24 juin 1974, puis la vente aux enchères des murs du Château à un promoteur immobilier le 7 juin 1979. Le mythique studio d'Hérouville finit par fermer définitivement ses portes le 25 Juillet 1985, en ayant accueilli dans sa seconde vie rien moins que, entre autres, Marvin Gaye, les Bee Gees, Fleetwood Mac, Iggy Pop, David Bowie, Marc Bolan, Charlélie Couture, Yves Simon, Transit Express, Saint-Preux, Patrick Coutin, Tom Novembre, Rainbow, Jacques Higelin, Magma... Entretemps, écœuré par toutes ces péripéties judiciaires et ce qu'il a toujours considéré comme une injustice criante, Michel Magne, parti s'exiler quelques années dans le Sud puis revenu à Paris où il n'avait jamais pu retrouver le statut de compositeur de musique de films qui avait été le sien au cours des années 60, se donne la mort au Novotel de Pontoise le 19 Décembre 1984. Triste épilogue pour une existence bien remplie... que je vous invite à découvrir !

 

Michel Magne a écrit son autobiographie dans un livre paru en 1980, "L'Amour de Vivre".


Michel Magne naît le jeudi 20 Mars 1930 à Lisieux (Calvados). Il est le cinquième d'une famille de huit enfants. Vers l'âge de cinq ans, le vieux piano droit de la salle à manger de ses parents le fascine déjà. Il reçoit ses premières leçons de l'organiste de la Cathédrale de Lisieux, et ne tarde pas à jouer de l'harmonium à la messe le Dimanche. Son père a beau être le directeur d'un orphelinat, Michel n'en est pas moins le plus chahuteur des élèves ! À l'âge de 9 ans, il découvre dans le grenier d'un parent une pile de 78 tours d'opéras - Wagner en tête... Ses premiers émois amoureux font intervenir un château d'aristocrate où il tient l'orgue, puis une charmante nonnette pianiste virtuose. On retrouvera par la suite des traces de tous ces événements dans nombre de ses musiques de films, du "Repos du guerrier" à "Tout le monde il est beau" ou "Moi y en a vouloir des sous", sans parler de l'orgue de Fantômas ou des nombreux disques consacrés à cet instrument qu'il enregistrera par la suite...

Magne poursuit ses études musicales après la guerre au Conservatoire National de Caen, puis à Paris. Pour subvenir à ses besoins, il est engagé comme pianiste/équilibriste par une petite troupe, moitié cirque moitié orchestre, "Les Tréteaux de la Besace". En juin 1948, il découvre les Ondes Martenot et en reste émerveillé. La parenthèse du service militaire, accompli à Montlhéry puis à la caserne Dupleix de Paris, il la passera en compagnie de Claude Bolling dans une musique régimentaire, tout en continuant à suivre ses cours au Conservatoire avec Madame Plé Caussade et Olivier Messiaen.

Rendu à la vie civile, il découvre et s'enthousiasme pour les ondiolines et claviolines, et fonde un septuor d'instruments électroniques. Avec des amis, Marcel Moureau et Gérard Delassus, il effectue des recherches sur le son et toutes les techniques acoustiques fondamentales. Un travail pas très éloigné de celui qu'accomplissent à la Radio, à peu près à la même époque, Pierre Schaeffer et Pierre Henry... Michel donne le 15 juillet 1954, à la Salle Gaveau, un concert de "musique inaudible" resté célèbre, où l'intensité des infra-sons générés donne la colique à tout le public... que quinze gardes du corps-rugbymen (un par porte de sortie) refoulent impitoyablement dans la salle, en dépit de leurs tracas intestinaux ! C'est lors de ce concert que Michel rencontre Abel Gance.

En 1954, Michel compose sa première musique de film : "Le pain vivant", un long métrage de Jean Mousselle d'après François Mauriac. Celui-ci lui confiera un jour : "Ne vous faites pas d'illusion, mon cher Magne, votre musique, à force d'être comique, est essentiellement dramatique. Mais ne changez rien, elle fonctionne comme cela".

Le 20 mai 1955, encore un concert historique, au Palais de Chaillot cette fois. Michel Magne dirige la Société des Concerts du Conservatoire et la Chorale de l'Université de Paris : 110 instrumentistes, 200 choristes, et les grandes orgues de Chaillot à sa disposition. Au programme : une première partie composée de musique "science-fiction" - "Secousse sismique n°2773 ter", "Mélodie populaire d'un autre monde ou mars en avril", "Berceuse pour grincement de violoncelle et orchestre à cordes"... En seconde partie, "La symphonie humaine", fresque sonore qui se termine par des discours d'Hitler lus à l'envers (pour lui faire ravaler ses paroles !), suivis par des bruits de chasse d'eau ! Éreinté par une bonne partie de la critique musicale parisienne, notre jeune compositeur de 25 ans se voit consolé par son ami Boris Vian... Et publie, en 1956, à compte d'auteur, un disque de musiques qu'il a composées et dirigées pour le cinéma...

Autre vrai copain de Michel, Fernand Raynaud finit par épouser Renée Caron, la première interprète des premières chansons signées Magne vers 1955. C'est aussi à cette époque que Michel rencontre Françoise Sagan, qui devient vite une amie, avec Annabel, Juliette Gréco et Mouloudji. Résultat de leur collaboration : un disque "GRÉCO/SAGAN" sort chez Philips le 13 mai 1956. Michel passe les premières grandes vacances de sa vie à Saint-Tropez avec cette bande, puis les prolonge à New York. Il travaille ensuite avec Henri Salvador et Boris Vian, pour qui il s'acquitte de quelques orchestrations, puis retrouve Sagan pour réaliser "Le rendez-vous manqué", un ballet-spectacle d'une heure et demie. Au générique : Sarfati/Vadim/Buffet, rien de moins ! La première a lieu à Monte-Carlo le 3 janvier 1958 - le succès public est honorable, les choses seront plus difficiles à Paris... C'est Michel qui dirige l'orchestre : il ne passera que dix jours au Théâtre des Champs-Élysées, mais trois mois à Londres et pas moins de deux ans de tournée mondiale presque ininterrompue !

Le 31 octobre 1958, Michel Magne donne un second concert à la Salle Gaveau. Il y mêle des oeœuvres oniriques de 1952 : "Carillon dans l'eau bouillante", "Méta-mécanique saccadée", "Mémoire d'un trou" avec des compositions plus récentes : "Pointes de feu amorties au dolosal", "Self-Service", "Médius Fidius", "Concertino triple", "Larmes en sol pleureur". Il ne se produit que des catastrophes ! "Pour le "Carillon dans l'eau bouillante", le timbalier devait faire bouillir de l'eau dans une timbale et y tremper les carillons qui devaient exploser. Il faillit mettre le feu, et fut interrompu par les pompiers. Dans "Pointes de feu amorties au dolosal", les chirurgiens devaient opérer une patiente à poil dans le piano. les musiciens ne regardaient plus leurs partitions et firent n'importe quoi. Dans "Self service", les casseurs d'assiettes s'en donnèrent tellement à cœur joie dès le début de la pièce, qu'il ne restait plus rien à casser pour la fin du morceau. De plus, le public cria "bis", et je dus faire comprendre que c'était impossible faute d'ustensiles à casser. Dans les solos de jambon, les clochards de la Place du Tertre, que j'avais engagés spécialement, avaient tout dévoré pendant la dernière répétition. Bref, ce fut une hécatombe". (Michel Magne, "L'amour de vivre", page 99). Le programme du concert fut enregistré chez Barclay en septembre/octobre 1959, sous le titre "Musique tachiste". Six autres albums sortiront la même année chez Barclay ! (voir discographie)

Le 2 avril 1960, la société des Concerts du Conservatoire inscrit à son programme la "Cap Carnaveral Symphony, pour piano principal, 50 instruments de percussions, orchestre symphonique, fusées diverses (7 ou 8), et 3 oiseaux imaginaires". L'énoncé des neuf mouvements se suffit à lui-même : Réveil des pyrotechniciens, Babillage des oiseaux épileptiques, Fugue libre des petites fusées à tête chercheuse, complainte des carburants solides et nostalgie des carburants liquides, Acheminement du missile vers l'aire de partance, Marche triomphale d'un monde tentaculaire dans un univers spasmodique, Radar dance, Satellite-Waltz, À suivre... Il paraît qu'une délégation de l'ambassade américaine quitta, outrée, la salle au beau milieu de l'œuvre ! Curieusement, la même année, Michel aura la plus grande peine à se faire délivrer un visa pour les USA à l'occasion d'un voyage avec Barclay.

Toujours en 1960, Michel Magne épouse la danseuse Monique Vence, rencontrée à Amsterdam à l'occasion de la tournée du "Rendez-vous manqué". Il enchaîne ensuite, en Juillet-Août, sur un énorme projet : les plus fameux textes du répertoire français, qu'il part enregistrer avec le récitant André Maurice dans la chapelle du Likez, à Quimper, munie de deux orgues (que Michel joue avec sa technique "bruitiste" tout à fait personnelle). D'abord "La Passion", de Charles Péguy, puis "Une saison en Enfer", d'Arthur Rimbaud. La préface du double album est signée Jean Cocteau. Suivent "Paroles" de Jacques Prévert, puis un disque Garcia Lorca et un autre consacré à Bernard Dimey. Pas mal, en deux mois de vacances ! C'est le fidèle Gérard Delassus qui est aux manettes : ses premières expériences d'enregistrement professionnel, avec du matériel français haut de gamme, tout à fait performant.

À la rentrée, Michel dirige l'orchestre qui accompagne Raymond Devos puis Henri Salvador au théâtre de l'Alhambra. En américaine de Raymond Devos, un certain Johnny Hallyday fait ses débuts. Michel a donc l'honneur d'être l'un de ses premiers accompagnateurs ! Les deux hommes resteront amis. Et fin décembre, naît Magali, le premier enfant de Michel Magne. Date historique à la télévision française : le Lundi 20 février 1961, une heure d'antenne est consacrée à une "Carte Blanche à Michel Magne". Michel choisit un ami pour présenter l'émission : Jean Yanne ! Dans le cadre frileux de la RTF de l'époque, les deux compères n'y vont pas avec le dos de la cuillère, ce qui leur vaut les foudres de la censure. En mai 1962, le réalisateur Henri Verneuil confie à Michel Magne la musique de son dernier film, "Un singe en hiver", avec Jean Gabin et Jean-Paul Belmondo. Suivent "Le repos du guerrier" (9/62), qu'il compose en trois jours, puis "Mélodie en sous-sol" (3/63), "Le vice et la vertu" (4/63), huit films avec André Hunebelle, six avec Georges Lautner, deux avec Costa Gavras... (voir filmographie). 1962 est aussi la date de sortie de l'album Tropical Fantasy, à découvrir absolument : tout Magne y est !

C'est fin 1962 que Michel achète, avec un ami, une propriété appelée "Le Château d'Hérouville", appartenant alors à la fille de Colette : deux ailes d'une ancienne gentilhommière, bâtie sur les ruines d'un château-fort, séparées par un mur, donnant sur un parc de 2 hectares. Chassé de son appartement versaillais, il s'y installe immédiatement avec sa femme Monique et sa fille Magali, remettant en état les lieux. Tous les droits d'auteur de ses musiques de films y passent. Résultat : deux années plus tard, l'aile gauche est flambant neuve, une piscine et un court de tennis sont aménagés dans le parc, qui est entièrement réaménagé, avec rocaille, jeux d'eau, tour génoise pour bronzer tranquille dans le fond, massifs floraux, allées arborées... Tous les week-ends, Michel invite à déjeuner dans le parc les producteurs de cinéma, les metteurs en scène, les stars... Claude Bolling vient jouer du piano, Raymond Oliver vient cuisiner des plats comme au Moyen-Âge... "Les repas à deux cents ou trois cents couverts n'étaient pas rares, mais les jours ordinaires, il n'y avait jamais moins de vingt ou trente personnes à table"... "Il était nécessaire d'alimenter les finances avec les recettes des films toujours plus nombreux que je devais faire"... "J'en arrivais à la limite surhumaine de dix films par an, ce qui signifie plus de cinq heures de composition pure pour une année. Démence totale..." (Michel Magne, "L'amour de vivre", page 160). Lorsque son ami meurt dans un accident de voiture en octobre 1965, Michel rachète l'aile droite du Château à sa veuve. Et la vie de château continue !

En mai 1968, la femme de Michel le quitte. Et le 26 mai 1969, un incendie sévère ravage toute l'aile gauche du Château - celle qui venait d'être refaite à grands frais. Partent en fumée toutes les partitions originales de Michel, ses bandes magnétiques, ses disques, ses films et photos personnels... Après avoir touché le fond, Michel Magne vous toute son énergie à rebâtir son œoeuvre, le Château, et se lance à corps perdu dans de nouvelles compositions. Le parc du Château accueille même une émission de télévision en direct le Dimanche 3 Août 1969, réalisée par Raoul Sangla : "Les invités du Dimanche". Au même moment, Michel se lance dans un gros projet : installer, avec son vieil ami électronicien Gérard Delassus, un studio d'enregistrement dans l'aile droite. "Sans la moindre idée commerciale... Le but était fort simple : il s'agissait pour moi d'avoir sous la main en permanence un outil de travail pour me permettre de composer et d'enregistrer dans les meilleures conditions possibles". (Michel Magne,"L'amour de vivre", page 193). Nos deux compères installent une console de radio Diffona entièrement customisée par Gérard, 4 enceintes Altec et un 4 pistes Ampex d'occasion. Très vite, comme beaucoup d'artistes disposant de leur studio à domicile, Michel met le doigt dans l'engrenage : plus de matériel, plus cher, plus sophistiqué, plus difficile à amortir... "Je me suis rendu compte qu'il était absurde d'avoir une telle machinerie pour un seul compositeur, et qu'il serait beaucoup plus raisonnable de mettre ce studio à la disposition de tous les autres compositeurs de musique. Pourquoi ne pas monter une société de prestation de services à la disposition d'une clientèle de créateurs et de producteurs ?" (Michel Magne, "L'amour de vivre", page 194). Et voilà comment est créée, le 21 Novembre 1969, la S.E.M.M (pour Société d'Enregistrement Michel Magne), SARL au capital de 25.000 F. Le studio 4 pistes est baptisé Strawberry Studio. Il existe un homonyme à Manchester, en Angleterre, mais Michel l'ignore.

Séance d'enregistrement d'un grand orchestre (40 musiciens) pour la musique de "De la Part des Copains", début 1970.
Gérard Delassus à la console, Michel Magne à la baguette. On aperçoit en haut les 4 enceintes Altec.

Le studio démarre tout doucement, et c'est Magne qui fait tourner, par ses droits d'auteur, la société, et abonde généreusement sa trésorerie. Il faut financer le nouveau 8 pistes (standard de l'époque), les Dolby, les périphériques... Fort heureusement, les films comme "Angélique" assurent une manne permanente au compositeur. Le premier ingénieur du son d'Hérouville est Gérard Delassus (l'ami qui avait suivi Michel à Likez pendant l'été 1960), puis arrive Gilles Sallé. En 1970 passent Canned Heat, Mamphis Slim, Buddy Guy, Julio Fin, Rex Foster, Gong avec Daevid Allen... Michel recrute début 1971 Dominique Blanc-Francard, un excellent ingénieur du son/musicien, qui vivotait à l'époque dans un petit studio de maquettes parisien. Au Château, DBF sera le premier à faire "tomber" la vitre séparant le studio de la cabine en abolissant la distance "réglementaire" entre aspect musical et aspect technique, et il se forge vite un nom. Il enregistrera les plus grands... tout en restant très humble lorsque des pointures de la production artistique comme Tony Visconti, Gus Dudgeon ou Ken Scott lui montrent, avec T-Rex ou Elton John, ce qu'est un "vrai" son rock'n'roll ! La réputation de l'acoustique du studio, nommé "George Sand", est excellente, ce qui attire encore plus de clients !

On compte,tous secteurs confondus, plus d'une vingtaine de personnes salariées permanentes de la S.E.M.M ! Pour amortir ces frais, il est décidé de créer un second studio. Début 1972, Michel Magne termine l'aménagement du Chopin, situé en contrebas dans la cour du Château, à l'acoustique moins réussie que le George Sand, et engage un petit nouveau, Andy Scott, à la technique, qui rejoint Christian Gence, petit nouveau aussi. Ce passage "à la vitesse supérieure" est assez mal négocié financièrement, et le 30 juin 1972, Michel signe un accord avec Yves Chamberland, alors propriétaire indépendant des studios Davout. Dans son autobiographie, il écrit : "Hérouville devenait une énorme machine qui accaparait tout mon temps et toute mon énergie... Petit à petit, je m'étais laissé envahir par un métier qui ne semblait pas être le mien et qui était en contradiction, avec la création pure. C'est donc pour cette raison, et seulement pour cette raison, que je décidai de confier la gestion de ce trop lours navire à une personne compétente ou à une société spécialisée". En fait, Michel Magne n'a rien d'un gestionnaire, et les fêtes permanentes, les effectifs pléthoriques, les investissements incessants dans les deux studios (passés en 16 pistes au début 72) mettent à mal ses finances - accaparé par son rôle d'hôte, il a progressivement délaissé l'écriture de musiques de films, et ses répartitions SACEM sont désormais insuffisantes pour faire tourner le Château, comme pendant les années 60.

Michel Magne assis sur la cheminée de la cuisine de l'aile droite. En arrière-plan, la vénérable église Saint-Clair.
Cette photo ayant été prise vers 1968, le studio Chopin n'existe pas encore : il sera construit dans le trou entre les deux bâtiments de droite.
Quant à la Bergerie (à gauche), elle semble inoccupée, et son toit est en piètre état !

Suite à divers démêlés, l'accord signé est remis en question. Une action judiciaire est engagée pour faillite frauduleuse, et le 27 septembre 1974, l'administrateur judiciaire de la Société d'Hérouville étend la liquidation des biens de la SEMM au nom propre de Michel Magne. Malgré tous les appels qu'interjettera Michel Magne, qui porte plainte de son côté, "son" Château sera finalement vendu en juin 1979, et ses droits d'auteur saisis à la source. Entre-temps, Michel s'est remarié en 72, et a eu un troisième enfant en avril 1973. Écoeuré par la procédure judiciaire menée à son encontre, il part s'installer à Saint-Paul-de-Vence en juillet 74, où il loue une maison avec sa famille et découvre d'autres moyens d'expression artistiques que la musique : la peinture, la sculpture... Il tisse des bandes magnétiques, expose et se fait remarquer des critiques d'art contemporain. C'est pendant cette période qu'il publie, chez son ami Eddie Barclay, deux compilations de ses musiques de films (Barclay n°900 509 et 510) - la pochette de l'un de ces disques le montrant d'ailleurs photographié à l'auberge de la Colombe d'Or). Il ne peut s'empêcher de donner des concerts au synthétiseur, va retrouver ses amis de Pink Floyd, Bill Wyman ou Elton John à Saint-Tropez. Des expositions lui sont consacrées à Saint-Paul de Vence, à Bruxelles, à Legnano, à Milan, à Strasbourg... Puis en août 1977, n'y tenant plus, il retourne à Paris.

Michel Magne emménage avec sa petite famille dans un duplex de la rue Mouffetard, réinstalle ses synthétiseurs et se remet à la musique, enregistrant plusieurs émissions de télé (par exemple, "Les clés de la musique", en Février 78). Deux disques solo sortent sur le label français Egg, ayant pour thème les éléments (la Terre et l'Eau), où il joue avec Yann Emerick, Didier Lockwood, Michel Delaporte... Les commandes de musiques de films ne reviennent pourtant pas au rythme d'antan (un ou deux par an au maximum), et Michel vivote, ses droits d'auteur toujours saisis à la source pour payer les créanciers d'Hérouville. Littéralement obsédé par Hérouville, il pense en permanence à ce Château qui ne lui appartient plus. Une spirale descendante qui le conduit à se donner la mort le 19 Décembre 1984, au Novotel de Pontoise, ville où se sont concrétisés tous ses malheurs judiciaires.

Ainsi disparaît un des plus grands compositeurs français de musique de film, un des plus universels (comparez les rengaines pop de Tout le monde il est beau... et la chanson de Don Juan 73 : on ne peut pas plus différent, mais c'est le même compositeur !), des plus fantaisistes et des plus attachants, qui n'a hélas aujourd'hui plus la cote d'un Delerue ou d'un Cosma... Mais le retour approche, notamment grâce à Stéphane Lerouge, dont la collection Écoutez le Cinéma compte une dizaine de rééditions de B.O. signées Magne, sans oublier le label Music Box, et ce n'est pas fini !

 

Discographie

 

Filmographie

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Dernière mise à jour : le 3 janvier 2017

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