François Groult

Toujours au service du film


Une autre interview de François, restée inédite, effectuée à Auditel en 2008, un mois après la sortie de Bienvenue chez les Ch'tis.

 

François à Auditel

Avec plus de 150 films au compteur, François Groult fait partie des plus grands mixeurs du cinéma français. Il a accompagné toute l’évolution technologique du secteur, du tripiste au Pro Tools, mais sa ligne de conduite n’a pas changé : ne pas se laisser dépasser par les outils, mettre en valeur le film par le son, toujours servir l’émotion.

De Léon au Huitième jour, de Van Gogh au Premier Cri, de Jean de Florette à Chok-Dee, de Disco à Bienvenue chez les Ch’tis, la carrière de mixeur de François Groult est d’une impressionnante diversité. Bien malin qui pourrait lui coller une étiquette – même si ces derniers temps, son parcours s’est un peu éloigné du "cinéma d’auteur" de ses débuts. Nous l’avons rencontré à Auditel (l’endroit où sa carrière a commencé) pour discuter technologie et subtilités sonores…

Une révolution maîtrisée

Dans le son cinéma, la révolution du numérique est arrivée voici une dizaine d’années. Ce monde habitué à l’analogique a alors vu toute sa chaîne de production/diffusion basculer sur de toutes nouvelles technologies en quelques années… Depuis, la Capricorn a laissé la place à la DFC, Pro Tools ou Pyramix a succédé au DD1500, mais les techniques de base n’ont, en elles-mêmes, pas changé. À quelques détails près… « Comme Pro Tools ne la permet pas, une méthode de travail très usitée naguère, la "nominale arrière", n’est plus utilisée désormais », explique François. « J’avais appris, auprès des maîtres du mixage que j’avais assistés, à travailler aussi en marche arrière, quand on revenait au début de la séquence : ça permettait de repérer un niveau, de modifier une EQ, ce n’était pas du temps perdu. Maintenant, la transition est terminée, on s’est tous habitués à ne plus travailler en marche arrière ».

Autre innovation technologique à maîtriser : l’image sur disque dur. Il est de plus en plus rare de mixer avec une image 35 mm, et même la cassette Beta est en train de disparaître, remplacée par le V-Cube ou équivalent. « Du coup, le recalage au début de séquence ou de bobine est instantané », précise François. « Mais là encore, ce n’était pas forcément du temps perdu : ça faisait une pause de quelques minutes, une respiration, ou pouvait réfléchir à ce qu’on venait de faire, à ce qu’on ferait. Maintenant, dès que c’est calé, on se sent obligé de repartir tout de suite… Il n’est pas toujours évident de se donner du temps ! ».

« Mais ce ne sont là que des détails, par rapport aux énormes avantages apportés par les technologies actuelles – d’autant que des écueils de jeunesse, comme l’inflation du nombre de pistes arrivant au mixage ou les écarts de dynamique agressifs, sont désormais évités. Côté montage son, pouvoir découvrir, en salle de montage, une bobine avec tous les sons audibles simultanément et des niveaux relatifs cohérents (là où, auparavant, on ne pouvait écouter qu’un ou deux sons à la fois sur la table de montage) a changé le rapport du réalisateur au son : il ne découvre plus les éléments apportés à ses images au moment du mixage, mais peut agir et décider en amont, en accord avec le monteur son ».

Côté monteur son, justement, la préparation des niveaux et de la spatialisation possible sur les stations de travail comme Pro Tools ou Pyramix est telle que le travail du mixeur s’en trouve, au final, facilité. « Certains mixeurs, au début, prenaient cela pour une intrusion dans leur domaine.  C’est quasiment fini, aujourd’hui », commente François. « Je trouve que grâce à ces outils, on est beaucoup plus disponibles à l’artistique qu’avant. La frontière entre conception/montage et mixage devient plus floue. En fait, tout ce temps gagné sur le côté technique est récupéré pour affiner l’artistique. On met toujours quatre semaines, en moyenne, sur un long métrage, la tentation de mixer « plus vite » n’a pas pris. Les réalisateurs se sont aperçus que le temps de la "gamberge" est très important : il est normal de repartir en marche arrière, de réécouter deux fois, trois fois, de prendre l’avis du monteur son ou du réalisateur s’il est là… ».

Travail d’équipe

On a souvent tendance à identifier le son d’un film à son mixeur. François n’est pas du tout d’accord… « Les spectateurs ne sont pas forcément conscients que la bande son d’un film est vraiment le résultat d’un trio de techniciens, ingénieur du son tournage / monteur son / mixeur, plus le compositeur et le bruiteur, bien sûr. Beaucoup s’imaginent que c’est prêt comme ça, peut-être même que tout est fait au tournage, et qu’il suffit d’équilibrer le tout pour obtenir une bande son cohérente. Bref, dans cette optique, il n’y a pas de mixeur, mais un ‘sommateur’… et le monteur son est assimilé à un illustrateur sonore. C’est une toute une dimension de nos métiers qui est niée dans ce cas-là – une dimension qui est hyper-importante. Ce n’est pas un hasard si, dès qu’on découvre un film en copie travail, on a des sensations, on éprouve des émotions, et qu’on peut soutenir une mise en scène, aider le jeu d’un comédien. Ce n’est pas anodin d’aller changer un mot, une phrase ici ou là, de passer à la post-synchro, où à une autre version du direct, d’aller monter le niveau juste à la fin d’un mot : c’est ça, aider le jeu d’un comédien, ou gommer une faiblesse à un moment donné, par un coup de fader ou par l’édition. Si le but est juste de faire plus fort/moins fort, et de rester synchrone, on possède d’ores et déjà des outils informatiques qui peuvent s’en charger très bien ».

« Le monteur son est, au départ, le premier sur le film, à se faire une idée de ce qui serait utile, magnifierait une séquence, aiderait la narration – il réfléchit sur ce que le film est censé nous raconter, nous apporter comme émotions. Après, il y a les échanges de perception, de sensibilité entre le mixeur et le monteur son. Je considère que c’est indispensable. Je ne mixe jamais sans le monteur son à mes côtés ! »

Dominer la technologie

Au niveau de la technologie, même si François connaît bien l’électronique (il a fait bénéficier Auditel de ses capacités lors de la construction du premier auditorium cinéma de la société, au milieu des années 70 !), il n’en est pas un « drogué »… « Je me sers bien sûr des plug-ins, ou des périphériques externes, mais uniquement quand j’en ai besoin. Ce n’est pas mon truc de les accumuler pour le plaisir. Quand on en est à sortir plusieurs plug-ins sur chaque piste, c’est que le problème est ailleurs, ou qu’on n’est pas sûr de soi… Et on se retrouve vite perdu dans leur gestion : c’est en ligne, en série, en parallèle ? Qui déclenche quoi ? Et pour peu qu’il y en ait un qui parte en vrille, avant de trouver lequel et pourquoi, il peut s’écouler un certain temps ! Et au bout d’une heure, quand on a trouvé, on revient au film, on se dit « On en était où ? », on a perdu le fil ».

Le mixage d’un film étant précédé de phases de prémixage, notamment paroles, où on entend tous les sons à nu, il est parfois tentant, la technologie le permettant, de rechercher une propreté « clinique ». Là encore, François tempère : « Je n’aime pas trop nettoyer les sons : dès que j’entends un direct un peu chargé, je ne filtre pas d’emblée, j’aime rester nature, jusqu’au moment où dans l’environnement de la séquence, on s’apercevra peut-être qu’on perçoit un parasite gênant. Nettoyer à mort un prémix paroles, pour passer ensuite son temps, au mixage, à remettre des fonds d’air et des ambiances, c’est un peu idiot, je trouve… Je préfère faire l’inverse. Je travaille mon prémix paroles en dynamique, en équilibre, en corrections, sans aller trop loin dans le nettoyage. Et c’est quand j’ai tout sous la main que je me dis « Bon, là, effectivement, il faut nettoyer un peu… », et je sors le plug-in de denoiser ».

Là aussi, la technologie a fait évoluer les pratiques : compte tenu des capacités d’accueil (plusieurs centaines de sons, parfois !) des consoles numériques actuelles, nombre de grands mixeurs, aujourd’hui, travaillent directement avec tous les sons arrivant simultanément sur la console, sans passer par la phase de prémix paroles. « Pour avoir parlé avec eux, je sais qu’ils apprécient de pouvoir tout mixer ensemble », commente François. « J’ai essayé moi-même deux ou trois fois, sur des films plutôt simples, pour voir si j’y trouvais un avantage. On gagne du temps pour autre chose, mais j’en suis resté à ma méthode traditionnelle sur la plupart des films ». Mais il ne faut pas « sortir de la vie » : trop de plugs, parfois, dénaturent le spectre sonore, donnent un côté nasal, le jeu peut en prendre un coup. Un retour aux directs bruts permet de se rendre compte de ce qu’on a fait… À enlever ce qu’on croit nuisible, on enlève aussi du bon ! C’est aussi vrai pour un simple compresseur mal réglé, qui tue le jeu du comédien ».

Transition toute naturelle pour évoquer un autre aspect « libéré » par le passage au numérique : la dynamique sonore ! Encore un domaine où garder du recul est primordial. « Là aussi, tout le monde s’est calmé par rapport à une époque où, en salle, c’était parfois à la limite du supportable. Je n’aime pas trop les écarts de dynamique trop marqués au cinéma. Mais à trop comprimer, ça devient un peu mou… Je préfère être léger lorsque je mixe, et devoir revenir à rajouter une couche plutôt que de ne plus pouvoir enlever la couche de trop ! ». François n’a pas de préférence marquée, mais possède une sorte de botte secrète : « J’aime bien les compresseurs intégrés à la console numérique DFC, moins ceux de la SSL ; je peux aussi utiliser les compresseurs d’un [t.c. electronic] System 6000, ou ceux intégrés, sous forme de plug-ins, dans Pro Tools ou Pyramix. J’avoue avoir un faible pour un compresseur vintage, un D.W. Fearn VT-7, que j’utilise, en très légère réduction de gain, sur les canaux gauche/droite de la console ». François a même demandé à  l’artisan américain concepteur de l’engin s’il envisageait d’en proposer une version 3 canaux (pour la base avant en cinéma, L/C/R) !

Un exemple concret

Un des derniers films mixés par François Groult, Bienvenue chez les Ch’tis, est un bon exemple de la « subtilité cachée » du son au cinéma. « C’est une comédie, il n’y a pas beaucoup de séquences à effets, mais ça n’exclut pas la subtilité… Ce mixage est très fin, le public ne s’en rend pas compte, mais un petit détail, plus un petit détail, plus un petit détail, ça finit par créer ou renforcer une ambiance, ça marque, ça touche. C’est le but ultime de la technique, ça : faire passer quelque chose. Philippe Rombi, le compositeur, est venu deux/trois fois au mixage. Dans sa musique, c’est pareil : nombreuses sont les petites finesses perceptibles, mais non analysables d’emblée, qui soutiennent une séquence ».

François Groult avait déjà travaillé avec Dany Boon sur son premier film, La maison du bonheur. Il était donc naturel de le retrouver aux faders sur ce qui est devenu un véritable phénomène de société. Le monteur son était Franck Desmoulins, et l’ingénieur du son des directs, Grégory Poncelet. « Ce n’était pas un film très compliqué à mixer, mais Dany savait ce qu’il voulait. J’avais le même nombre de pistes que sur les films habituels : pas une orgie de sons, mais tous étaient bien ciblés. Dany Boon était venu plusieurs fois en salle de montage pour écouter les propositions du monteur son, Franck, qui prépare pas mal les choses et laisse des choix. Quand on est arrivés en audi, il n’y a pas eu de surprises. On décale, on bouge, mais on s’occupe vraiment du film, tout le monde est concentré dessus. Un des moments les plus difficiles de ce mixage est le moment où il joue du carillon : ce sont des sons qui ne sont pas simples à gérer au niveau de la dynamique, il faut que ça reste assez beau, sans être agressif, et il fallait gérer la transition avec la musique, qui enchaînait symphoniquement sur le plan du beffroi. On y est revenus plusieurs fois, sur cette séquence, à plusieurs jours d’intervalle. Il y avait plein d’options possibles, on trouvait ça bien sur le coup, mais deux jours plus tard, on y revenait, « Ah, dommage qu’on n’entende pas les violoncelles, quand ils démarrent »… Évidemment, on réessaie, en décalant d’une ou deux secondes, mais ce n’est pas facile. Sur cette petite séquence, il y a eu plusieurs allers-retours, comme ça, jusqu’au moment où, un peu par magie, on a considéré qu’on avait trouvé quelque chose qui fonctionnait bien et qui satisfaisait tout le monde ».

« La séquence où ils mangent tous comme des porcs, pour dégoûter la femme de Merad montée le rejoindre dans le Nord, ça ne s’est pas fait non plus tout seul : à un moment donné, on trouve qu’on y va un peu trop fort, alors on se retient. Mais quand on y revient, on trouve que c’est un peu timide, on s’interroge sur ce qu’il faut, sans aller trop loin… Au niveau du multicanal, il y a deux ou trois moments dans le film où j’ai pu me permettre des spatialisations un peu audacieuses. Sinon, mixer une comédie, c’est ne pas perdre les dialogues, bien comprendre les situations, rester assez discret – d’autant que l’aspect « langue étrangère » changeait parfois la donne ».

Avant les Ch’tis, François avait mixé Le Premier Cri, le documentaire de Gilles de Maistre. « Là, j’étais dans un autre monde artistique, vraiment. Technologique, aussi, puisque j’ai mixé sur un système ICON (une première pour moi) chez Silycone, un beau petit audi équipé d’une écoute Show Max. J’ai fait Disco, aussi – une autre comédie, avec un aspect musical plus marqué : il fallait faire passer, dans une salle de cinéma, l’impression d’être en boîte de nuit de province… Pas facile ! On suggère l’acoustique avec des plug-ins, on cherche la couleur sonore d’une boîte de nuit de dimensions moyennes, on gère l’enveloppement, le sub… ».
« Chaque film est différent, et demande des capacités d’adaptation à son mixeur. Finalement, le meilleur mixage est sans doute celui qui ne se fait pas remarquer en tant que tel, qui sert le film en toute modestie, avec efficacité et respect ».

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